L’avant-projet constitutionnel anti-peuple : Critiques et Propositions pour consolider la démocratie en Haïti.

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Par arrêté,  en date du 3 février 2021, le président de la République a nommé un comité consultatif indépendant devant élaborer le projet d’une « nouvelle constitution » en Haïti. Selon cet acte de nomination, le comité a comme objectif de proposer une nouvelle constitution « permettant entre autres de préserver les acquis démocratiques et les aspirations au développement durable du peuple haïtien ;  renforcer les mécanismes de l’État de droit ; prendre en compte l’évolution du contexte institutionnel, politique, économique, social et culturel du pays etc. ». Ayant fini d’élaborer ce fameux document, aujourd’hui c’est le moment pour l’exécutif de passer à l’étape suivante, celle de proposer à la « population » de voter le projet de constitution par voie  référendaire, notant qu’une telle démarche est formellement interdite par la constitution de 1987. Telle n’est pas la raison de ma disconvenance dans ce processus. D’ailleurs, il n’y a que l’administration en place qui avance dans cette logique sans aucun support  de la majorité de la population, des pays partenaires et après des organisations internationales et/ou supranationales telle que l’Union Européenne (UE).

Pis encore, c’est un ancien président de la République et de la Cour de Cassation qui préside ce comité pour nous proposer un tel projet qui ne répond en aucun cas aux mutations de notre ère. D’ailleurs, ce fameux président se vante, avec  beaucoup de désinvolture/outrecuidance, comme celui qui détient le droit haïtien en poche. Hélas ! D’où l’importance de se poser la question de savoir si ceux qu’on appelle « experts » en Haïti, le sont en réalité. Bref ! . A mon avis, ce projet est anti-peuple, car celui-ci ne permettra pas à la population de participer à la « prise des décisions » lui concernant et ne dispose d’aucun mécanisme qui faciliterait la « participation citoyenne », comme toute démocratie contemporaine digne. Toutefois, il est admis qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite, mais certaines omissions ne sont admises. Sachant que beaucoup de citoyens ont déjà émis leurs préoccupations face à ce projet donc je me limiterai à faire le point sur certaines insuffisances et faiblesses flagrantes de ce document qui est notre « éventuelle constitution ». Par ailleurs, je me permets de noter et de démontrer à quel point ce pseudo « projet de constitution » qu’on veut nous imposer n’est pas inclusif, ne résoudra pas les maux d’Haïti et ne réponds pas aux réalités socio-économiques et politiques du XXI ème siècle de la démocratie haïtienne.

De prime abord, dans le préambule du projet, à mon avis, il serait important d’y ajouter que le pays s’engage à « consolider ses relations avec les pays de la CARICOM, développer ses relations avec les « pays du Sud » dans le cadre de la coopération Sud-Sud, intensifier ses relations dans le monde selon ses intérêts ». Aujourd’hui, la coopération Sud-Sud reste une thématique centrale dans la coopération internationale, on doit s’engager dans cette voie qui est en pleine expansion ces dernières décennies. En effet, il est vrai que la situation actuelle fait que nous ne sommes pas respectés au sein de la Caraïbe, mais nous restons tout de même une grande nation au sein de cet espace donc on doit faire preuve de leader et nous imposer dans l’enceinte de cette organisation d’intégration régionale. Cela devrait être l’espace d’influence régionale  d’Haïti, par manque de planification et de mauvaise gouvernance, Haïti est traitée comme un pays de seconde zone. Le préambule d’une constitution en dit beaucoup sur sa gouvernance et ses intérêts, il faut qu’il soit explicite le plus possible. D’ores et déjà, ce projet qui sera soumis au vote par referendum ne reconnait pas le « multipartisme ou pluripartisme politique », qui est donc un système politique dans lequel il y a plus d’un « parti politique ». En revanche, celui-ci reconnait le « pluralisme politique » qui est, quant à lui, un mode d’organisation politique qui reconnait et accepte la diversité idéologique politique et d’opinions à la vie politique d’un pays. Faute d’une telle reconnaissance dans cette nouvelle constitution, nous serons par conséquent dans un pays à « parti unique avec une seule idéologie politique dominante ». Je vous laisse imaginer quel sera le système politique haïtien selon ce fameux projet.

Ensuite, dans l’article 59 du chapitre IX relatif à « L’éducation, l’enseignement, la recherche et la culture » du projet en question, il y est mentionné que «Hormis les cas de flagrant délit, l’enceinte des établissements d’enseignement est inviolable. Les forces de l’ordre ne peuvent y pénétrer sans l’accord de la direction de ces établissements ». Par contre, il n’y a aucune disposition de la sorte qui protège les autres institutions civiles contre ces arbitraires notamment les établissements sanitaires (les hôpitaux et consorts). Dans ce sens, il sera clairement admis que les policiers peuvent décidément pénétrer l’enceinte de ces établissements pour procéder à des arrestations au vu et au su des personnels et des patients d’un établissement de santé. Il est inconcevable qu’on accepte cette omission, d’une autre cause  le droit international humanitaire exige à ce que ces institutions soient protégées même en cas de guerre ou de conflits. Du coup, ce projet doit obéir aux dispositions internationales qui sont signées et ratifiées par la République d’Haïti.

 De surcroit, Selon les prescriptions de l’article 68 du Chapitre XI relatif à « La liberté économique », il est formellement interdit le « Monopole », c’est une bonne chose évidemment, cependant n’est pas suffisante puisque celui-ci n’est pas la seule pratique déloyale en matière économique. Etonnement, le projet constitutionnel du comité qui soi-disant prêt à être voté par la population au moyen de referendum n’interdit pas le « trafic d’influence et de privilège » et « l’abus de position dominante ». Il est important de savoir que ces notions ont un rapport de similarité sémantique donc synonymie mais dans la pratique, elles sont totalement différentes. Par conséquent, il faut absolument que ce projet interdise ces pratiques économiques et commerciales déloyales mais aussi interdire « toutes les autres pratiques contraires au principe de la concurrence libre et loyale dans les relations économiques ».D’autre part, dans le titre III relatif à la souveraineté nationale, le comité composé d’expert prend le soin de parler de souveraineté nationale et en mettant de côté la souveraineté populaire. Il est vrai qu’on a fait mention de « referendum », mais la population n’aura pas le droit d’initier un referendum sur un sujet qu’elle trouverait nécessaire pour son bien-être c’est-à-dire que les referendums seront toujours une initiative de l’exécutif. C’est une erreur gravissime.

En effet, si vraiment ce projet a pour but de répondre aux différentes mutations que connait la société haïtienne y compris le recul de la « démocratie représentative », ce comité saurait que toutes les démocraties représentatives tentent de s’aligner aux principes de la démocratie dite « participative » afin de pallier à ce recul, aux enjeux et défis contemporains. Face à ce constat, je pense que ce projet devrait introduire la reconnaissance des mécanismes relatifs aux « initiatives citoyennes et populaires » qui permettraient à la population d’exercer leur droit de participer à la « prise des décisions » qui concerne son avenir et son bien-être. Ces mécanismes et outils qui facilitent la participation des citoyens à la gestion de la chose publique, tels que : les motions, veto populaire, sondages, consultations populaires, referendum d’initiative citoyenne et populaire, pétitions et tant d’autres mécanismes démocratiques, devraient être intégrés dans ce projet afin de consolider notre démocratie. Il est vrai que dans son article 127, le projet fait référence aux « pétitions » sans aucune précisions y afférentes. C’est-à-dire qu’il n’y est pas mentionné les sujets et les domaines sur lesquels cet outil pourrait être utilisé, aucune mention n’est faite non plus sur les conditions de validité d’une pétition et qui peut lancer une pétition, un élu ou un citoyen on ne sait pas. Il est vrai qu’une constitution ne rentre pas forcément dans les détails, cependant il n’y est pas prévu qu’une loi  serait publiée pour donner les précisions concernant les pétitions donc le flou total. En Théories Politiques Contemporaines, il est généralement nécessaire de se référer à des modèles de réussite en matière de gouvernance, de système et de régime politique. A ce titre, je me permets de prendre l’exemple d’Italie et notamment le fonctionnement de sa démocratie en référence aux « referendums d’initiative citoyenne » permettant aux citoyens italiens de participer à la prise des décisions de leur pays. Ce type referendum englobe des méthodes qui permettent  à la population de voter ou d’abroger une loi, à son initiative. En outre, ce mécanisme existe dans deux Etats fédéraux, aux Etats-Unis et en Suisse, où il contribue également à la « démocratie de concordance » qui est  basée sur la négociation, le compromis et le consensus. Les initiatives citoyennes sont constitutionnellement bien encadrés en Italie, par exemple, l’article 71 de la constitution italienne prévoit que le peuple « exerce l’initiative des lois au moyen d’une pétition formulée par cinq cent mille électeurs au moins et constitue un projet rédigé en articles ». En plus, la proposition de loi d’initiative populaire doit ensuite suivre le processus législatif normal et donc être votée par le Parlement. Autre point innovateur qui me parait très intéressant dans la démocratie italienne est celui prévu dans l’article 75 de sa constitution qui introduit la notion de « référendum abrogatif ou veto législatif », qui permet au peuple de s’opposer à une loi adoptée. Par le moyen du referendum abrogatif, la population a aussi le droit de proposer une loi. A condition que cette demande doit être faite par cinq cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux. Cette procédure est encadrée par la cour constitutionnelle italienne, qui examine préalablement la constitutionnalité du projet de referendum. Toutefois, le referendum n’est pas admis dans certains domaines notamment dans le cadre de la ratification des traités internationaux, des lois fiscales, d’amnistie, etc. Il est vrai les sociétés sont différentes, mais je pense qu’on pourrait trouver une formule pour adapter notre démocratie à certains de ces mécanismes en s’inspirant de ce modèle italien qui est un véritable progrès démocratique à condition de ne bien les encadrer. Une telle démarche aiderait le pays à ne pas dépenser pour des «législateurs non productifs » comme la dernière législature haïtienne. 

De plus, toujours dans l’ordre d’idée de la participation citoyenne notamment les jeunes dans la gestion de la chose publique, Monsieur Guy André Junior François alors Ministre Délégué auprès du Premier Ministre en charge de la Citoyenneté et du Patriotisme a annoncé sur son compte twitter que « dans la 2ème version de l’avant-projet de la Nouvelle Constitution, la participation des Jeunes sera effective. Ainsi, pour être élu CASEC, Maire ou Député, il faut avoir 22 ans au moins. Et 25 ans pour être nommé Ministre ou Secrétaire d’Etat ». C’est une innovation à saluer au profit de la jeunesse haïtienne dans un pays où les autorités ne font pas preuve de compétence dans la gouvernance de dernier. Cependant, tous les jeunes n’aspirent pas à briguer des « postes électifs » et ces derniers ne sont pas les seuls moyens pour un jeune de participer dans les affaires politiques d’une véritable démocratie.  De cette façon, il faut a fortiori l’avant-projet prévoit les mécanismes et outils dont j’ai fait mention ci-haut pour faciliter la participation de tous sans exclusion. Déjà, les conditions socio-politiques et économiques actuelles ne permettront pas à un jeune d’accéder à ces postes, car la politique est « gangstérisée ».Qui plus est, la constitution prévoit la mise en place d’une cour constitutionnelle qu’on espère, cette fois-ci, verra le jour. Pour le bien-être de la population, pour la consolidation de nos acquis démocratiques, je sollicite respectueusement l’intelligence des « experts » du texte devant donner naissance à une nouvelle constitution haïtienne de bien vouloir revoir ce texte.

D’autres insuffisances relevées dans l’avant-projet de la nouvelle constitution ;

En fait, les membres du comité ne font pas la nuance entre une « majorité votante » et « majorité populaire ». Dans ce sens, sur une population de 12 millions d’électeurs (par exemple) nous aurons toujours des élus sur la base de 500 000 voix donc  où est la majorité populaire ? Dans telle situation, bien évidemment l’élu est légal mais il ne sera pas légitime (ou encore légitime pour une infirme partie de la population). Par conséquent, lorsqu’un président n’est pas populairement légitime, il y a plusieurs facteurs qui peuvent entacher son mandat notamment des risques d’éclatement social, manque d’adhésion populaire dans ses décisions etc. Une telle démarche est une menace pour notre démocratie qui devrait se mettre sur la voie de la majorité. D’où l’importance de prévoir des mécanismes et outils « incitatifs » permettant à la population de reprendre confiance dans la politique en Haïti. En référence aux méthodes de participation citoyenne, je propose de prévoir la création d’une « instance pour la promotion de la démocratie participative » qui aura pour objectif le fonctionnement de ces dits outils. La dernière remarque dans cet avant-projet se réside dans la section 3 du chapitre 3 correspondant aux « attributions du Président de la République »,il n’y est pas interdit au président de dissoudre le parlement (ou la chambre des députés comme prévue dans ce texte) dans les moments exceptionnels (crise, guerre, pandémie, épidémie, etc.).On le sait tous qu’en temps de crise, le Chef de l’Etat détient des prérogatives exceptionnelles selon la « théorie des circonstances exceptionnelles » et sous l’auspice de la raison d’Etat, il peut outrepasser ses compétences donc ce projet donne le « plein pouvoir » à un président en période exceptionnelle en Haïti. 

Somme toute, tout au long du texte nous avons remarqué certaines des diverses faiblesses et insuffisances relatifs à l’avant-projet de la nouvelle constitution haïtienne. Pour contenir aux effets de ces lacunes, nous avons fait des propositions qu’on estime importantes pour renforcer notre démocratie et permettre à la population civile de participer à la prise des décisions. Sinon le projet actuel prévoit plutôt de renforcer le pouvoir des autorités tandis que  la population n’a qu’un seul pouvoir celui de voter chaque 5 ans pour sanctionner un élu (démocratie électorale). S’il n’y a pas aucune raison occulte derrière ce projet, il faut qu’il soit modifié sinon la population doit être prudente quant au referendum du pouvoir en place. Il est vrai qu’on a besoin d’une constitution qui répond aux réalités actuelles mais celle-ci doit être au profit de la population non pas contre celle-ci. Nous sommes déjà témoins des soucis d’interprétation dont fait l’objet notre constitution actuelle donc n’importe quel texte qui nous ferait office de constitution devrait être le plus explicite possible autrement on pourrait d’ores et déjà présager l’avenir de ce texte.

Informations sur l’auteur :

Gilbert Wilson, 

Master II en Sciences Politiques 

Master II en Administration Internationale et Gestion des Partenariats 

Licence en Droit 

Diplômes en Études Juridiques et Politiques 

Coach Territorial

Gilbertwilson34@gmail.com

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